Essai rétro - Nissan 300ZX Z32 : faut-il rencontrer ses idoles ?
La nostalgie entraîne toujours un risque de teinter une époque révolue par des lunettes roses, lunettes qui se briseraient lamentablement si l'opportunité de revisiter le passé était offerte. Et cela s'applique aussi aux voitures où l'on sombre volontiers dans le catégorique « c'était mieux avant » jusqu'à ce que l'on découvre un bas de caisse mangé par la rouille, que l'on tente de régler un assortiment de carburateurs double corps, que l'on sent la morsure brûlante d'un siège en skaï chauffé au soleil ou que l'on expérimente une tenue de route de boule de bowling. En fait, l'automobile, c'est comme les stars de la musique. Il y a les Madonna qui traversent les âges et les modes sans jamais paraître ringardes, et puis il y a les Herbert Léonard. Dans quelle catégorie tombe notre trentenaire du jour ?
On dit qu'il ne faut jamais rencontrer ses idoles. Jamais. Que la réalité sera toujours moins belle que l'image idyllique que l'on s'est façonnée dans sa tête durant de nombreuses années et la chute du piédestal forcément vertigineuse. Et c'est souvent vrai, y compris dans le monde automobile et surtout avec le poids des ans. J'ai par exemple été longtemps un fan absolu de la BMW M3 de la génération E30, la première du nom, fasciné par ses épaules carrées et son riche palmarès. Mais un essai il y a quelques années m'a révélé certes un châssis prodigieux mais un moteur profondément creux faisant passer le premier Honda VTEC venu pour un big block Chevrolet au rayon couple. Mais c'est aussi parfois faux. La Mazda MX-5 NA, le modèle originel, délivre par exemple des sensations parfaitement conformes à ce qui est décrit sur l'emballage et reste, presque trois décennies après sa sortie, un engin absolument réjouissant sur tous les plans.
Quel modèle pouvait-on trouver sur les posters décorant votre chambre parfumée au pied tiède d'adolescent ? Personnellement, au début des années quatre-vingt-dix, ma préférence allait déjà vers des productions en provenance du Pays du Soleil Levant importées au compte-gouttes dans l'Hexagone et que l'on qualifiait encore d'obscures dans cette période pré-Gran Turismo. Mazda RX-7 FD. Mitsubishi 3000 GT Z16A. Honda NSX NA1. Et surtout Nissan 300ZX Z32. Tout me plaisait dans cette dernière. Le nom déjà, qui en faisait une descendante de la délicieuse 240Z. Sa ligne très originale, avec ses phares profilés à l'extrême (que la Lamborghini Diablo SV lui a chipé ensuite), son profil au dynamisme saisissant, son toit démontable en deux parties « T-Top » et sa barre de feux arrière. Et puis sa fiche technique, avec son V6 3.0 24 soupapes biturbo envoyant 280 ch aux roues arrière, la plaçant à l'époque à mi-chemin entre une Porsche 911 964 et une Ferrari 348 TB, mais qui la reléguerait aujourd'hui en milieu de peloton si elle faisait partie de la catégorie des compactes sportives.
Presque 30 ans plus tard, de quel côté penche-t-elle ? De celui de la légende allemande ou de son roadster de compatriote ? Que Nissan France, parmi quelques autres merveilles, en ait une de 1991 religieusement conservée dans son parc presse, avec à peine plus de 54 000 kilomètres au compteur, a permis de le déterminer. Et la première surprise en la découvrant, ce sont ses dimensions. J'imaginais un gros coupé extrêmement large mais il n'en est rien : sa ligne de toit très basse et les lignes étirées horizontalement de ses faces avant et arrière sont à l'origine de cette illusion, puisqu'elle est 65 mm moins haute et 45 mm moins large que sa descendante, la 370Z. À 4,52 m, elle est cependant plus longue de pas moins de 270 mm, dans cette version 2+2, la seule importée en Europe quand les marchés japonais et américain avaient droit à une version deux places à l'empattement réduit et mesurant 4,30 m.
La seconde impression est que sa ligne ne semble pas avoir pris une ride. Rares sont pourtant les victimes du biodesign, courant stylistique tout en rondeur à la mode de l'époque, à avoir terminé le siècle dernier et entamé le suivant avec panache, et la Z32 y parvient, notamment grâce à la simplicité de son trait et à ses optiques lenticulaires à l'aspect toujours moderne. Seuls certains détails trahissent son âge comme les petites jantes de 16 pouces, l'antenne télescopique ou encore l'autocollant Cobra sur les vitres latérales. À l’intérieur par contre, ça fleure bon les années quatre-vingt-dix. Littéralement d'ailleurs, avec ce parfum d'anciennes aussi évocateur que celui s'échappant des vieux livres. Les plastiques, omniprésents, sont brillants et creux, la moquette épaisse affiche un design désuet mais l'ensemble ne manque pourtant pas de charme, avec une planche de bord enveloppant conducteur et passager et des sièges moelleux au dessin travaillé. L'ergonomie est aussi soignée, avec une instrumentation bordée à gauche par les commandes de phares et de régulateur de vitesse et à droite par celles de la climatisation. La garde au toit est cependant réduite, les places arrière sont symboliques et il faudra faire avec un volant réglable ni en hauteur ni en profondeur. Dans cette position fixe, il est désespérément trop bas et sa partie supérieure me cache le compteur de vitesse de 80 à 160 km/h, ce qui est bien plus regrettable aujourd'hui qu'il y a presque 30 ans.
Les sièges arrière méritent plus d'être considérés comme une extension du coffre quasiment rempli par les deux parties du T-Top.
Difficile cependant de dissimuler son enthousiasme au moment d'insérer la clé (en titane, s'il vous plaît) dans le Neiman, après avoir religieusement neutralisé l'antidémarrage, et d'effectuer un quart de tour du poignet. Le gros six cylindres doublement suralimenté se réveille sans effort, faisant entendre une voix gutturale à travers les quatre sorties d'échappement dressant instantanément les poils de mes avant-bras. En attendant que la mécanique atteigne sa température optimale de fonctionnement, on peut s'occuper en enlevant les deux parties du T-Top. L'opération elle-même ne prend que quelques secondes, avec juste une gâchette à tirer, mais il faudra être bien plus patient pour les emballer soigneusement dans leur protection prévue à cet effet avant de les sangler au fond du coffre, monopolisant ainsi au passage une grande partie de son volume de chargement.
Quelques détails savoureux qui participent au charme de l'ensemble.
Il est cependant temps de reprendre place à bord pour, enfin, faire timidement les premiers tours de roues. La pédale d'embrayage est un peu caoutchouteuse et ferme et un poignet décidé est nécessaire pour enclencher le premier des cinq rapports à disposition. Une légère pression sur l'accélérateur à la consistance tout ce qu'il y a de plus similaire à sa consœur de gauche et la 300ZX s'élance. La direction, agissant sur les quatre roues, se montre peu communicative d'entrée de jeu mais légère et précise. Les kilomètres initiaux se font respectueusement sur le couple et le VG30DETT, petit nom du moteur, s'en contente parfaitement en reprenant à bas régime, bien assisté par sa paire de Garrett et sa levée des soupapes variables à l'admission NVTCS offrant 375 Nm à 3 600 tr/min. Les suspensions font preuve d'une confortable souplesse sans roulis excessif mais définissant d'entrée le caractère de GT assumé de la Z32, quand ses aînées (Z31 mise à part) et ses descendantes, que ce soit la 350 ou la 370Z, appartiennent plus à la catégorie des sportives. Et si l'amortissement n'est pas un indice suffisamment évident pour vous, le freinage achèvera de vous convaincre. Il y a beau avoir des étriers à quatre pistons et deux pistons à l'arrière mordant à pleines dents dans des disques de respectivement 280 et 297 mm, l'inertie du nez plongeant avec quasiment 1 600 kg poussant derrière semble être une tâche largement au-dessus de leur capacité.
Et c'est un paramètre à garder soigneusement en tête quand vous vous décidez enfin à aller explorer la seconde partie du compte-tours, zone où le V6 passe de cheval de trait à pur-sang arabe, hurlant de tous ses cylindres et soufflant de tous ses turbos. La poussée passe soudainement de linéaire à exponentielle jusqu'à la zone rouge démarrant à 6 900 tr/min, précisément 500 tours après le régime de puissance maximum. Flexion de cheville gauche puis de poignet droit et l'accélération reprend de plus belle, vous plaçant désormais dans la partie dangereuse du tachymètre. Dangereuse pour votre permis de conduire en tout cas, car la Nissan se montre d'une stabilité et d'un équilibre à toute épreuve, gommant les imperfections de la route et restant bienveillante même en cas d'excès d'optimisme. Rouler de façon dynamique, la 300ZX peut le faire sans rougir du résultat, mais là où elle excelle, c'est sans aucun doute dans la balade au long cours, coude à la portière et cheveux au vent. Un état d'esprit répondant finalement parfaitement à la politique automobile répressive d'aujourd'hui, pour peu que l'on reste éloigné des fameuses Zones à Circulation Restreinte.
Au moment de rendre les clefs bon gré mal gré, la conclusion s'impose d'elle-même : la Fairlady, comme elle est appelée dans son pays d'origine, a traversé les années de fort belle façon et reste aujourd'hui une usine à sensations débordant de personnalité. De là à ce que le poster punaisé sur la chambre d'adolescent se concrétise par un modèle à l'échelle 1 dans le garage de l'adulte avec la cassette de « Like A Prayer » dans l’autoradio, il n'y a qu'un pas que quelqu'un pourrait bien franchir.
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