La beauté des laides - Matra 530 : elle voulait tout, elle ne ressemble à rien
Ce devait être une sportive jolie et abordable. Mais le patron de Matra, Jean-Luc Lagardère, a exigé que la première auto maison soit à quatre places, avec un moteur central arrière et un coffre. Les designers de l'engin qui ont fait ce qu'ils ont pu. Au final, la ligne de la 530 n'est pas très réussie et en plus, elle est trop chère et de piètre qualité.
Même les grands hommes peuvent se tromper. Il en est ainsi de Jean-Luc Lagardère dans ces années 60 durant lesquelles l'archétype du capitaine d'industrie à la française se pique d'automobile. Il vient de prendre la direction de Matra et la fabrication de missiles ne lui suffit pas. Le spatial, les médias, la téléphonie, il veut tout, très vite. Comme tout lui réussit, il fait entrer l''auto dans son plan de diversification.
Matra sur les traces des Mustang et des Corvette
En plus, Lagardère dispose dans le groupe dont il vient de prendre le contrôle d'une usine d'assemblage à Romorantin en Sologne. On y fabrique des René-Bonnet Djet, mais l'affaire vivote et finit par capoter faute de clients. Malgré ces anicroches, le boss s'accroche et veut une auto au nom de son entreprise. Il est persuadé qu'une petite voiture sportive et pas trop chère a toute sa place sur le marché, naissant, des jeunes qui ont quelques moyens, ou qui disposent de l'argent de leurs riches parents. C'est d'ailleurs ce créneau que se sont approprié les Mustang et autres MG.
Pour parvenir à ses fins, il débauche un ingénieur de chez Simca. Philippe Guédon vient de travailler sur la 1100, l'un des cartons du constructeur aujourd'hui disparu. Lagardère va confier les clés de sa division automobile à ce jeune ambitieux de 32 ans. Charge à lui de créer une petite auto sportive de A à Z. Mais le patron reste le patron et impose ses vues. Un diktat qui va conduire au naufrage de la Matra 530.
L'auto des copains trop chère pour les copains
Car Jean-Luc lagardère y tient, la nouvelle Matra doit être l'auto des copains : sportive, à quatre places, avec un toit amovible, un moteur central arrière et le tout pour pas cher. C'est beaucoup pour une seule auto. Et Guédon s'arrache les cheveux pour tenir ce cahier des charges. Le résultat est forcément bancal, car il s'agit de caler une banquette arrière entre les sièges avant et le moteur tout en préservant un coffre, pour y glisser le toit Targa. Il y parvient, avec une ligne curieuse et beaucoup moins homogène que la concurrente du moment, l'Alpine A110, qui ne se soucie pas d'exigences pratiques.
À cette ligne quelque peu de guingois, il faut ajouter un moteur. Pas question de le créer, nécessité fait loi et les emplettes chez d'autres constructeurs s'impose. Ça tombe bien : Ford dispose d'un V4 tout petit susceptible de se glisser entre la banquette arrière et le coffre. L'Américain est partant, et en plus, il fait miroiter une distribution de l'auto aux États-Unis. Une bonne affaire donc.
Une hypothétique distribution américaine qui pousse Guédon et son équipe à donner un côté US à la petite française. Elle va adopter des feux escamotables et des lignes acérées comme la Corvette C2 qui connaît un joli succès depuis 1962. Pour se démarquer, la Matra va s'équiper d'un volant ovale. Une première. Il lui faut un nom aussi : ce sera 530, comme le missile Matra que l'on retrouve sur les Mirage de l'Armée de l'air.
73 ch, c'est peu pour un missile
En mars 1967, l'auto est prête. Le salon de Genève est le passage obligé pour ce genre de voiture et la 530 y est dévoilée au mois de mars. Les visiteurs font la moue. Deux choses les préoccupent : la ligne, bien sûr, mais aussi la puissance du moteur, un rien faiblarde, de 73 ch, ce qui même à l'époque est plutôt léger. Et il y a son prix. Elle devait coûter 10 000 francs d'alors (13 000 euros d'aujourd'hui) selon les premières annonces. Mais voilà qu'elle s'affiche à 16 180 francs soit 21 150 euros.
L'auto est trop chère, son dessin déplaît et elle est sous-motorisée (malgré son poids plume de 860 kg) : la 530 réunit tous les critères pour rater une belle carrière. Mais s'il n'y avait que la puissance et un dessin tarabiscoté, la 530 eût pu passer entre les gouttes de l'insuccès. Sauf qu'il y a sa carrosserie.
Elle est en résine époxy et agrafée sur la structure. Une matière révolutionnaire qui a de vilains défauts : il arrive que des panneaux se détachent, et quand par bonheur ils tiennent en place, l'auto n'est pas étanche, faute d'un assemblage correct entre les pièces de résine. Quant à la peinture, elle n'accroche pas toujours à cette matière, révolutionnaire pour l'époque car légère et solide à la fois, d’où des teintes peu homogènes sur certains modèles livrés aux clients. Des clients qui, d'ailleurs, ont du mal à acheter les voitures puisque le réseau de distribution Matra est quasi inexistant.
De vaines modifications sans grand effet
Un tel amoncellement de catastrophes conduit logiquement au pire : l'auto est un bide. Philippe Guédon tente de rattraper l'affaire. La résine époxy est licenciée et le polyester, plus apte à retenir la peinture, prend sa place. Les feux escamotables sont remplacés par des optiques classiques et un accord est signé avec Simca : le constructeur distribue l'auto dans son réseau.
Des restylages interviennent également, mais rien n'y fait : en 6 ans d'existence, de 1967 à 1973, il s'en vendra à peine plus de 9 000. Et pourtant, son sort aurait pu en être transformé dès 1968. Matra commande un nouveau dessin de la 530 au carrossier italien Vignale, et il transfigure le coupé. Hélas, les modifications à effectuer sont trop nombreuses, et Lagardère refuse le projet.
Peu de constructeurs ont débuté par un échec. C'est pourtant le cas de Matra qui a réussi à s'en relever. Car après la 530 vinrent la Bagheera du succès, puis la Rancho, fabriquée pour Simca. C'est encore cette marque qui a inventé l'Espace, sous-traité pour Renault.
Du coup, le premier coupé raté est entré dans la légende. Car il prouve que les erreurs sont aussi humaines que mécaniques et que, parfois, on peut mettre sur le marché un brouillon, sans que son bide n'empêche les réussites à venir.
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