Dans le genre symbole d’opulence doublé d’un message clair envoyé à la figure du monde « normal », la Rolls-Royce se pose en reine incontestée. Dans la maison de Goodwood, on ne se cache pas derrière son petit doigt pour affirmer assez sereinement que la concurrence des produits de la marque n’est pas à chercher dans l’automobile mais plutôt du côté des yachts ou des hélicoptères. L’argument se tient lorsqu’on nous explique qu’une Rolls-Royce ne sert à rien (si, si) puisque tous les clients de la marque possèdent en général des garages personnels remplis de dizaines quand ce n’est pas des centaines d’autres véhicules. C’est un fait, on n’achète pas une Rolls-Royce pour seulement se déplacer. Passer commande d’une Rolls-Royce, c’est effectivement exprimer matériellement son accession à un statut particulier, celui d’un esthète dédramatisé de l’automobile dont le niveau de fortune fait éclater toutes les barrières financières et laisse libre cours à la réalisation de tous ses désirs. Ça fait envie, non ? Pour se convaincre que les clients potentiels de ce genre de voiture sont très particuliers et que la voiture n’est pas pour eux une priorité, demandez-vous si dans leur situation de fortune, vous choisiriez la même auto ? Probablement pas.
Alors, une Rolls-Royce est-elle à ce point exclusive, on pourrait dire « anormale » qu’elle se hisse naturellement hors de la nasse des automobiles du monde d’en bas ? Une Virée en Phantom Coupé Series II restylé va tenter de nous apporter la réponse.
Coup de chiffon esthétique
Étant par nature des amateurs de voitures de sport, nous avons bêtement choisi un Phantom Coupé … oui c’était stupide, une Rolls n’est jamais sportive mais nous ne le saurons qu’un peu plus tard !
Il n’y a que lorsqu’on approche d’une Phantom pour la première fois que l’on comprend pourquoi Rolls-Royce ne fera pas de SUV (c’est tout du moins ce qu’ils affirment). On ne s’assoit pas dans une Rolls, on y monte ! Perchée sur des jantes de 21 pouces, avec son imposante calandre qui pointe fièrement son Spirit of Ecstasy vers le ciel, la Phantom en impose. Même dans cette version Coupé, elle se répand sur plus de 5.60m de long, près de 2m de large et 1.60m de haut. Pour une fois, la silhouette est en rapport avec le poids : 2580 kg soit 20 kg de plus que la Phantom même pas Coupé !
Cette Series II se distingue de sa devancière par quelques points de détail esthétiques et de grosses modifications techniques. Le bloc avant arbore une bande de feux à leds (adaptatifs et avec éclairage en courbe) dans ses optiques, de nouveaux clignotants et un bouclier redessiné. La grille de calandre reçoit un nouvel encadrement sur la Coupé et la Drophead alors qu’une sellerie moins rainurée apparaît. Les possesseurs de Série 1 ne se sentiront pas contraints de changer …
Ménage de printemps technique
Sous cette robe massive quasiment inchangée, les modifications techniques sont plus nombreuses. Ainsi, le système de navigation est complètement revu (mais vu sur d’autres modèles BMW) avec un écran plus large toujours amovible et des commandes simplifiées. Le nombre de caméra permettant de manœuvrer en toute facilité augmente alors que les sacro-saintes prises 12V, USB se multiplient et que le Disque Dur embarqué accueillera plus de musique !
Sous le capot, Le V12 6.75l à injection directe subit une mise à jour qui lui permet de faire baisser sa consommation de 10% et ses émissions CO2 de 385 à 347 gr/km. Afin de respecter la tradition, c’est en le chuchotant à l’oreille de son interlocuteur qu’on évoquera les 460 ch à 5350 tr/mn et les 720 Nm de couple à 3500 tr/mn de ce bloc imposant. Il est désormais accouplé à une nouvelle boîte automatique à 8 rapports qui est elle-même reliée à un différentiel arrière lui aussi nouveau. Aussi saugrenu que cela puisse paraître, un pack dynamique est désormais proposé en option sur la berline Phantom, il propose une rigidification du châssis aluminium à l’aide de barres de soutien, une suspension plus rigide, un pot d’échappement désormais visible (shocking !), un volant plus épais, un réglage alternatif de la boîte et un freinage revu !
Appareillage
Au final, le Coupé est la Phantom qui accélère le mieux (5.8s de 0 à 100 km/h) mais pour être honnête, ça n’est vraiment pas ce qui vous secoue lorsque vous lancez le paquebot sur la route. Non, la sensation d’accélération très policée ne mettra pas en danger la choucroute de votre passagère qui aura probablement eu beaucoup plus de difficulté à passer le seuil de la porte suicide. Car malgré son gabarit, ce Coupé respecte là aussi les codes de ce type de carrosserie avec un accès aux places arrière étriqué et une habitabilité pas si énorme que ça. On sourira également à l’évocation du volume de coffre qui avec 395l est identique à celui d’une Lancia Musa de 4.03m …
Mais une Rolls-Royce, ça ne s’apprécie pas sur une fiche technique, c’est beaucoup plus subjectif que ça. L’ouverture de la porte suicide fait déjà son petit effet, l’imposante planche de bord épurée aux accents baroques (chrome et bois) est clairement saisissante, tout comme la manette de commande de boîte automatique au volant dont la faible épaisseur de jante et le diamètre vous donnent la sensation d’avoir opéré un voyage de quelques décennies dans le passé. Pourtant, les éléments de confort moderne sont bien présents mais ils se cachent sous le bois et le cuir qui recouvrent l’intégralité de l’habitacle. Très peu de boutons sont visibles et pour commander vos sièges électriques, le multimédia, le GPS et diverses autres fonctions, il vous faudra soulever l’accoudoir, ouvrir la boîte à gants, actionner l’ouverture de quelques tiroirs cachés derrières les placages de bois pour enfin accéder aux boutons de commande. Le design épuré était à ce prix, il nous permet aussi de nous extasier sur d’autres centres d’intérêts comme le ciel de toit truffé de fibres optiques qui vous donnent l’impression de rouler sous les étoiles ou la moquette soyeuse (ça glisse !) en laine d'agneau de 3cm d’épaisseur (l'abruti qui parle de passepoil dans la vidéo sera pendu dans les Shetland) que vous piétinez allègrement depuis ¼ d’heure sans même avoir regardé l’état de propreté de vos semelles au moment de pénétrer dans l'habitacle. Après vous être assuré, terrifié, que rien de gluant ou de visqueux n'a été importé par vos groles dans cet écrin à poil long, vous vous dites que ce type de moquette pourrait vous pousser à devenir très très vilain avec les propriétaires canins qui laissent faire leurs chiens sur les trottoirs !
Véritable Flying Carpet
Au démarrage comme lors des grosses accélérations, on se surprend à entendre le V12 qui est finalement moins silencieux qu’attendu. Par contre, les premiers mètres sont à la hauteur de la réputation de Rolls-Royce que l’on surnomme habituellement Flying Carpet, le tapis volant. On s’ébroue sans brouter et sans bruit dans un silence que lui envierait, si elle le pouvait, la Nissan Leaf ! Le « ouaté » des ouvertures de tiroirs du mobilier intérieur est en parfait accord avec la douceur du démarrage de cette Phantom Coupé, c’est doux, souple, reposant, sérénifiant et au bout d’un moment légèrement soporifique ! On augmente alors la pression du pied droit, le nez déjà haut s’élève encore, le postérieur serré s’affaisse et c’est dans ce fier cabrage yachtien que le navire et son équipage prennent le large dans une poussée ronde et pleine mais jamais brutale. Donnée pour 250 km/h en pointe, la Phantom Coupé ne peut empêcher les énormes bruits d’air qu’elle génère assez rapidement de s’inviter dans l’habitacle mais force est d’admettre que le double plancher isolé et l’insonorisation poussée font admirablement bien leur office à faible vitesse.
C’est d’ailleurs sur ce mode de conduite tout en souplesse qu’il faut rester sous peine de vivre quelques moments délicats. Au volant, bousculer une Phantom vous fait passer aux yeux de vos congénères pour un gros sagouin tandis que la voiture s’échine à vous démontrer avec force couinements de pneus, sous-virages piteux et tangages vomitifs qu’elle n’est pas conçue pour ça. D’ailleurs, comme il est peu probable que le propriétaire soit derrière le volant mais plutôt assis à l’arrière, ce genre de chose ne doit jamais arriver à moins de vouloir perdre son job ou d’être dans une émission automobile anglaise. Au final, la présence du bouton ‘S’ sur le volant (pour Sans intérêt?) s’oublie assez rapidement et on préférera se consacrer au test de la suspension pneumatique et de sa capacité d’absorption des trottoirs que la largeur démesurée de cette Phantom oblige très souvent à chevaucher.
Oui, mais
Passée la découverte aveuglée d’un objet rare et brillant (on s’habitue à tout, même au luxe), on se surprend à chercher la petite bête et a malheureusement la trouver. Certains estimeront que cette attitude s’apparente à un crime de lèse-majesté dans une auto qui a réclamé à 30 personnes plus de 450 heures de travail et pour laquelle le communiqué de presse nous apprend qu’elle reçoit de 5 à 7 couches de peinture avec sablage à la main entre chaque passage du peintre puis un polissage final et manuel de 5h, qu’elle peut bénéficier de strippings latéraux de 5m de long peints à la main (3h chaque ligne) à l’aide de pinceaux en poil d’écureuil et de bœuf, qu’elle contient jusqu’à 43 éléments de bois provenant du même arbre et associés à une feuille d’aluminium pour éviter les éclats en cas d’accident ou dont l’habitacle est tendu de 450 morceaux d’un cuir de taureaux des Alpes choisis en fonction de leurs pâturages dénués de buissons d’épines et de clôtures de barbelés.
Mais tout ce soin, tout ce luxe évoqué sur le papier n’empêche pas de découvrir quelques vis et collages de cuir disgracieux à hauteur de regard sur la planche de bord ou quelques jointures de pièces de bois étonnement peu travaillées.
Certes, ce sont peut être des détails mais il faut bien avouer qu’on ne s’attend pas à les découvrir dans une auto de ce standing facturée bien plus de 440.000€ (les 370,000 euros du film sont HT), tout comme on est déçu de voir que le coffre à la cinématique d’ouverture en 2 parties n’est pas électrique (alors que la fermeture des portes l’est !) et que les passagers arrière bénéficient finalement d’assez peu d’égards puisqu’on ne trouve à leur portée aucun lecteur dvd, pas d’écran, aucune tablette ni éléments de confort ou de distraction en standard. Sans compter que les sièges que l’on imaginait nid douillet sont si fermes qu’on aimerait s’asseoir sur la moquette ! De petites déceptions qui, il faut le préciser, disparaissent si vous optez non pas pour le Coupé que l’on jugera « spartiate » (certains diront « c’est un coupé ! ») mais pour la berline paradoxalement moins chère qui saura être plus logeable et beaucoup mieux équipée et pour tout dire, bien plus représentative de l’esprit originel de la marque.
La bonne Phantom, c’est la berline, gardez ça dans un coin de votre tête pour le jour où vous quitterez le monde … normal. En attendant ce moment, vous pouvez oser la Ghost car selon certaines sources bien informées, il semble qu’elle surpasse la Phantom dans pas mal de domaines ! L’occasion d’une prochaine virée ?
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