La course de la dernière chance
Selon une tradition bien établie, Reims devient le premier week-end de juillet, la capitale de la course automobile. La proximité de Paris, une affiche très riche (course d'endurance de 12 heures, trophées de France F2 et F3), font venir un public nombreux, la presse mondiale mais aussi tout le gratin des pilotes étrangers, alléchés par des primes de départ confortables. En plus des Alpine, dont le moteur Renault Gordini semble avoir retrouvé ses chevaux, les Matra F3 trouvent sur leur route les Brabham semi-officielles de l'écurie Charles Lucas. Pilotées par Piers Courage et Jonathan Williams, elles font figure d'épouvantail après avoir glanés de multiples succès sur toutes les pistes européennes.
Sur les grandes lignes droites du circuit de Reims, tout se joue à l'aspiration et la course se fractionne en une multitude de petits pelotons. Disposant d'une puissance très voisine en F3, les moteurs, seuls, ne peuvent faire la différence et aucun pilote n'est en mesure de s'échapper. Qualifié en troisième ligne, aux côtés de Williams, Beltoise accroche le bon wagon dès le départ. Il est à l'aise, dans ce peloton bourdonnant où les capots et les roues se frôlent à plus de 200 km/h. Son expérience de la moto lui a enseigné la "promiscuité" et surtout une grande précision de pilotage. En tête au deuxième passage, il rétrograde en sixième position après avoir été poussé par l'Alpine de Weber. Dans son forcing pour revenir sur les hommes de tête, il pulvérise le record du tour de plus de trois secondes et reprend sa place. Beltoise et Courage qui mènent le plus souvent impriment un tel rythme que seul un autre britannique, John Fenning peut suivre. En abordant le dernier tour, les trois hommes savent que la course va se jouer à Thillois, dans le dernier virage qui commande la ligne d'arrivée située 1500 mètres plus loin. Depuis toujours, il est admis que le pilote qui sort le premier de ce virage ne peut gagner. En effet, dans la ligne droite qui suit, il aspire son suivant immédiat qui n'a plus ensuite qu'à le déborder sous le drapeau à damiers. En vue du Thillois, tous les pilotes ont commencé à finasser comme des pistards sur un vélodrome pour ne pas franchir le virage en tête. En apercevant un attardé sur le point de concéder un tour, Beltoise adopte une autre tactique: freiner encore plus tard pour dépasser cette voiture plus lente pour prendre un avantage décisif sur ses adversaires incapable de doubler l'attardé dans la courbe.
Le coup de poker réussi mais Courage s'est lui aussi infiltré. Au milieu du virage, Beltoise réduit sa vitesse obligeant Courage à freiner pour éviter la collision, puis accélère franchement en sortie. Idéalement posée sur la meilleure trajectoire, la Matra ne subit aucune dérive et prend une dizaine de mètres d'avance sur la Brabham. La dernière ligne droite est interminable. Courage s'est bien ressaisi en prenant l'aspiration et amorce sa remontée. En changeant de cap, pour le sortir de son sillage, Beltoise gagne quelques précieuses secondes et lorsque Courage déboîte pour le doubler, c'est trop tard, la ligne d'arrivée est déjà franchie. La victoire d'une voiture bleue déchaîne une explosion de joie dans le public qui envahit la piste. Un véritable coup de foudre, le prélude à une formidable histoire d'amour.
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